mercredi 30 novembre 2011

Le reflet des hêtres

Elle n'avait pas réussi à incarner leurs désirs. Elle n'avait pas réussi à devenir le fruit de leurs projections, de leurs ambitions. Seule, elle se promenait le long du fleuve bordé de hêtres. Tous semblaient l'épier et aspirer à l'atteindre de leurs branches éplorées. La surface de l'eau stagnante ne reflétait pas son image, mais seulement les débris d'une vie aquatique morte. Ils voulaient tous le meilleur pour elle, ils la voyaient au sommet de la pyramide, mais elle, elle trônait sur une pile de feuilles arborant les teintes du déclin. Les être chers faisaient pousser en elle le désir de croître éternellement en évinçant la mauvaise herbe. Leurs yeux, braqués sur elle telles des lampes accélérant la croissance des plantes, ne la lâchaient pas. Leurs yeux étaient devenus ses yeux. C'est alors que le chemin se fit de plus en plus étroit. Le feuillage des hêtres prenait tellement d'ampleur que la vue en était totalement bouchée. Il fallait rebrousser chemin, ou se frayer un passage. Elle posa un pied timide sur les branchages morts, et commença à arracher des brindilles, puis des branches, elle les soulevait, les écartait, les soulevait, les écartait... Jusqu'à ce qu'une colère éclair née de la monotonie étrange du geste la saisisse. Elle se vit accomplir ce geste répétitif et insignifiant, et vit que ses efforts n'étaient pas vraiment récompensés. Une fureur de vivre l'envahit. Elle ne voulait pas finir pâle comme une tige molle, ou encore fripée comme une vieille feuille à l'orée de la disparition totale. Elle ne voulait pas être à moitié présente, à moitié vivante. A moitié prisonnière du feuillage, et à moitié dehors. A quoi rimait cette tiédeur ? Pourquoi vivait-elle ici bas ? Pour arracher les mauvaises herbes et aller se coucher ? Si elle voulait vivre, il fallait exprimer plus d'envie, plus de force, plus de vigueur. Prendre cette branche qui obstruait sa volonté, la tordre, et la briser ! Imposer ses désirs, puis se laisser guider par le vent...

Le vent avait été son ami depuis toujours, il l'avait portée jusqu'en haut des cimes. Le vent chaud du sud, le vent réconfortant, qui caressait les mosaïques incomplètes et biscornues de son être. Il avait été son allié, malgré sa pluralité, ses petites incohérences. Il semait les graines de ses douces rêveries, de ses douces folies... Il ne cessait de souffler, et ne cessait de lui insuffler d'autres souhaits. Elle se visualisait danser de l'autre côté des falaises, briller, et enfin devenir quelqu'un. Vivre. Mais aujourd'hui, elle venait de quitter le sud et sa douceur, les montagnes de succès qui la faisaient fantasmer à un futur fait de fortune et de reconnaissance. Jamais elle ne s'était confrontée à elle-même, projetée dans la vraie vie. Perdue dans ses pensées, elle heurta un petit tas de pierres grises. Elle était enfin sortie de l'enclave végétale. Une éclaircie réchauffa sa peau et son cou dénudé. La suavité diffuse de ce rayon l'enlaça et lui procura un soudain bien-être, presque organique, irrationnel. Elle n'avait pas ressenti cela depuis les promenades de son enfance. Ce modeste rai de lumière la plongea dans d'autres souvenirs. En présence de ses parents, elle pouvait se taire, être elle-même dans la plus grande simplicité, dans le plus grand dépouillement. Elle n'avait nul besoin de se parer de couleurs et de fards pour éviter de laisser son mal-être transparaître. Elle pouvait le laisser circuler librement, comme une brise qui caresse le dos des feuilles, soulève une vaguelette, mais ne crée pas de torrent. A présent, le soleil se dissimulait derrière une épaisseur cotonneuse de plomb, et la laissait seule dans son errance. Plus de souvenirs auxquels se raccrocher. Plus de bien-être cellulaire incontrôlable. Seule. Dans l'obscurité. Grandir. Les pierres le lui murmuraient. Le vent serait sa boussole. Elle continua sa route le long des hêtres, et regarda droit devant elle le chemin clair et tout tracé. Elle quitta les lianes volubiles ainsi que le cloaque mêlé de feuilles mortes et de cailloux. Elle quitta les derniers oripeaux du passé qui la tenaillaient encore, et avança sans se retourner. Flèches de feu dans le regard.

Witches

I dreamt of witches.
I heard their voices.
Enthralled by their beautiful eyes,
And marvelling at their long black hair
That looked like dark daring crows,
I followed them into the night,
And fell for each and every one of them.

Qui si ce n'est moi...

Qui si ce n'est moi pour croire en moi?
Torrents de peine, parfois
Car je sais que l'espoir m'a quittée,
Que la magie m'a dupée,
Peut-on courber sa nature
Comme une tige qui se désaltère
Au fond d'un étang, et taire
Ses doutes et ses faiblesses,
Chanter, aveugle, sans cesse?
Peut-on courber sa nature
Comme un héron sur son îlot,
Assourdi par les imprécations, les mots,
Vivant sa vie en roi,
Ignorant tout des lois
Mais heureux, heureux, sans raison,
Torrents de joie, souvent
Car il est seul, et dans sa solitude,
Il croit en sa force, en ses turpitudes,
Tout comme j'aimerais croire,
Torrents de doute, toujours,
En moi-même, en l'amour
Sans faille d'une vie donnée,
En l'effort, et au cœur qui permet
D'avancer sans questions
Ni tergiversations :
Je suis, je vis, j'accepte, j'aime,
Je crois, j'espère, je donne, je sème.
Passer des heures dans l'obscur silence. Croire en ses mots, croire en ses rimes. Croire, l'excès de fantasmes? Croire et donner, n'est-ce pas assez? Donner tout court, sans croire, la vie ne demande pas moins. Mais alors, je chante à contre-courant de la vie. Et je ne sais pas où me situer. Tout donner selon les formules élucidées? Tout donner sans avoir cure du succès? Stupidité, aveuglement que de penser que la foi importe autant que le don? Que l'espoir permet l'accomplissement des amorces de lendemains heureux? Entendre, voir, que la vie et son représentant le plus proche ne croient pas avec ferveur, ni en l'espoir, ni en moi, je me sens à nouveau seule. Seule, mais à ma place. Seule, mais légitime. Car grandir s'organise ainsi, errer seul, sans coussinet greffé aux pattes quand on dérape! Errer seul, sans appui ni espoir d'autrui. Errer seul avec pour seule eau le don constant et pour sel l'espoir divin.

lundi 28 novembre 2011

Dernières images du sud

(Perpignan)

Il est si dur de se séparer de ce qu'on a connu si bien! Si déchirant de vivre loin, au pays du ciel de plomb, et des couvertures de nuées enrobant nos têtes en mal de luminosité! Je ne pensais pas qu'un climat, une lumière, un relief, me manqueraient tant et créeraient ce vide autour de moi ; la pensée que l'automne poitevin est une période de stagnation, d'indifférence, de monolithisme d'un paysage morne sur l'humeur ambiante. J'attends avec impatience les rayons de soleil pour qu'ils mettent de la couleur à ce tableau bien triste. J'attends avec impatience les première neiges, dites de rigueur, pour qu'elles illuminent le paysage de leur blancheur presque phosphorescente. J'attends avec joie de pouvoir sentir le froid, la délicate fragrance des fleurs d'hiver, et de la glace mordante. Mais cette saison ne m'inspire guère de sentiments profonds, et mon esprit, tout comme mon corps stagnent telle une plante estivale dans un marécage mortifère.

Et le vent qui porte le message des voiles, message de liberté et de poésie, où est-il? Comment se sevrer de ce qui a porté notre propre poème durant toutes ces années? Comment réapprivoiser le langage des éléments et les faire siens?

vendredi 18 novembre 2011

Elégie, San Francisco, Journal fantasmatique


Rues bigarrées comme des bonbons aux multiples saveurs ; tramway qui vous emmène aux sommets comme au plus profond des entrailles ; la mer déchaînée s'abat sur la ferraille rougeoyante, fruit d'un fantasme collectif et ainsi cultivée par ce dernier. On ne sait jamais où l'on sera demain ni même ce soir ; mais on sait qu'on ne sera pas seuls et que le panel de surprises dont regorge la ville ne s'éteindra pas de si tôt. A la fac de Berkeley, les cours les plus avant-gardistes y sont dispensés. On peut parler de littérature trans', ou assister à un cours d'écriture créative avec les plus grands auteurs. Tout y semble possible. On peut être qui on veut. Voici le journal fantasmatique d'une française en manque d'exil abreuvée de rêveries exotiques!


Voyage intérieur

Le récit de voyages est plus un vagabondage intérieur qu'un périple en terre inconnue. Il permet d'abolir les frontières intérieures/extérieures et de mirer dans la variété des reliefs la richesse de son paysage intérieur.
I sing alone to fill up the emptiness of being
I sing alone to feel something before the great ending

mardi 15 novembre 2011

Crachat de Fiel

Aujourd'hui, j'ai passé un entretien qui est censé valider ou non ma potentialité à enseigner dans le privé (est-ce que je ne suis pas tarée, est-ce que je ne suis pas à côté de la plaque). Et le plus drôle, c'est le sentiment de total décalage avec le milieu dans lequel je m'apprête (peut-être) à plonger. J'avais juste l'air d'une surexcitée survoltée, ouvrière du déridement des vieilles peaux de fions étroits. Si je recevais une réponse négative, j'avoue que je prendrais ça pour un signe divin : ne sois jamais prof! vraiment, je me dis que c'est un métier si dur. Il faut complètement annihiler sa personnalité pour n'être plus qu'un robot d'efficacité face aux élèves. Yes, je suis passée par tous les stades, je vais être ze prof qui va tout changer, qui va être plus cool, plus libre avec les mômes, plus compréhensif, plus humain... ce n'est que plus le bordel. je crois que cette approche douce et libre pourrait marcher sur un mini-groupe d'élèves assez jeunes. Mais ça foire total avec des gamins conditionnés par un système délétère de compétition constante, d'expression débordante de leur égo parfois boursouflé, le tout alimenté par les notes, le principe du meilleur et du plus nul, par les relations de force, et la vaine autorité qu'on développe dans le but de calmer pour si peu de temps une foule en rut, juste de quoi faire son cours dans des conditions pas trop dégueulasses. L'école est le berceau du mal-être social, et on décide de l'étouffer et de l'ignorer... bref, je suis passée par ce stade là, ainsi que celui de robocop (le premier qui parle j'le bute), mais en vrai, aucun des deux systèmes ne marche. Dans un cas, je suis hyper méga frustrée et pète occasionnellement une durite, ce qui excite d'autant plus les élèves et fout assurément une ambiance de chiottes, dans le deuxième cas, j'extermine tellement ma personnalité et ma sensibilité que je ne prends plus du tout plaisir à enseigner, car je me sens comme un robot d'autorité suprême. Je crois que pour éduquer, il faut avoir ce côté robot/inflexible, ne pas céder sur certains trucs (genre, t'as pas le droit de bouffer de la merde à midi, t'as pas le droit de sécher les cours à 8 ans, et bouffe ton chou-fleur, y en a qui crèvent la dalle), mais quand on choisit d'enseigner, on est réellement porté par notre passion, on étudie une matière par amour pour elle, et puis on se retrouve à travailler aux antipodes de cette même passion, complètement terrorisé par tous les problèmes auxquels on fait face SEUL, les problèmes des élèves qui nous envahissent, les problèmes avec les parents, les problèmes avec l'administration, avec les cours, les réunions à tire-larigot... le tout, SEUL, affecté à 600kms de sa famille, de ses amis, bref, SEUL, et triste, et mal payé (au début du moins).
Est-ce que ça vaut vraiment le coup?

Boules, Clodo et Honte

Il m'est arrivé un truc de nouille aujourd'hui, c'est débile mais je m'en remets toujours pas. Je me suis dit que ça valait le coup de partager mes plus belles hontes VOLUME 938 avec ce magnifique dessin!




Errata : "ce moment innomable de gêne" : ouhla, j'étais fatiguée là! rectifier par "ce moment de gêne innommable".
Conclusion :
J'me tape la TE-HON, des dizaines de BOULES roulent dans le bus, all-eyes-on-me-blushing-blushing, la clodo du bus me prend en pitié (je devais vraiment avoir l'air d'une chiasse), et me FORCE à lui donner mon sac de boules pour qu'elle les "garde" le temps du trajet. Et moi je la laisse faire. Qu'est-ce qui est le plus INCONGRU dans cette histoire? La folie de ces évènements successifs ou ma propension à laisser une telle folie s'exprimer librement à CHAQUE FOIS?